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DANS L’OEIL DU CORBEAU ★★★

★★★<br /><br /><br />
Pierre Chassagnieux, France, 2014, 52mn, Nilaya<br /><br /><br />
Qui sont les « corbeaux », ces mystérieux expéditeurs de lettres anonymes, majoritairement diffamatoires, quelquefois susceptibles d’aider justice et/ou police dans une enquête compliquée ? Pourquoi se cachent-ils ? Que cherchent-ils ? Par quels moyens réussissent-ils, au moins un temps, à rester incognitos, cachés derrière des missives qui vomissent leur haine, leur jalousie, leur médisance ou expriment ce qu’ils ont trop peur d’avouer à visage découvert ?<br /><br /><br />
En suivant le parcours d’une lettre anonyme, depuis sa confection jusqu’à sa neutralisation par les services de tri postaux, c’est ce à quoi va répondre ce film-documentaire que j’ai eu la chance de découvrir en avant-première et qu’a réalisé mon ami Pierre Chassagnieux.<br /><br /><br />
Le voyage de la lettre, bien qu’offrant des images toujours étonnantes et fascinantes de l’envers du décor de la poste, du ramassage à la distribution des facteurs en passant par les centres de tri, n’est pas le plus palpitant.<br /><br /><br />
Ce sont les étapes de ce voyage qui font de L’œil du Corbeau, plus qu’un simple documentaire, une sorte de mini anthologie du polar, trois histoires qui ont pour seul point commun les lettres d’un corbeau.<br /><br /><br />
La première, à Tulle en Corrèze au tout début du XXème Siècle, avec ce corbeau qui inondait la ville de missives ordurières qui n’épargnaient rien ni personne, 110 lettres qui entrainèrent méfiance, psychose et mort, est stupéfiante tant elle dépeint une affaire de mœurs aujourd’hui évidemment impensable et à travers elle, une société sclérosée par le conformisme, les codes de bonne conduite et une pensée unique étriquée, qui ne laisse nulle place à la différence et la liberté de se comporter autrement.<br /><br /><br />
Grâce à la passion de l’intervenante qui revit l’affaire en même temps qu’elle nous la raconte ainsi qu’aux nombreuses archives retrouvées pour illustrer le contexte, les décors et les protagonistes, le tout solidement épaulé par des images de reconstitution soignées, travaillées et qui nous immergent directement au cœur de l’histoire, c’est quasiment à un voyage dans le temps que nous convie Pierre Chassagnieux, l’ombre des brigades du tigre plane sur cette enquête aux rebondissements nombreux et surprenants et la résolution, loin d’être manichéenne, touche à un drame humain tellement complexe, qu’il est compliqué de se faire un avis tranché sur la personnalité du corbeau et l’ambiguïté de nos sentiments à son égard ajoute un plaisir supplémentaire à suivre cette étonnante intrigue que je ne connaissais personnellement pas et qui a été adapté en 1943 par Henri-George Clouzot dans le classique Le Corbeau.<br /><br /><br />
La deuxième histoire est la tristement célèbre affaire du petit Grégory, qui n’en finit pas, 30 ans après de continuer à rebondir. Sauf qu’ici, sans rien vous dévoiler de ce que l’on apprend, l’identité du corbeau/meurtrier (fait rare nous explique un policier, puisqu’un corbeau ne passe généralement jamais à l’action et reste bien planqué derrière ses lettres anonymes) est très clairement révélée, il n’y a que peu de doutes possibles et c’est plus le récit d’un fiasco judiciaire qui nous est conté.<br /><br /><br />
Une affaire dont le contexte de misère sociale ne m’avait jamais autant frappé qu’à travers les incroyables archives dénichées par le réalisateur, dont un stupéfiant enregistrement des appels téléphoniques du corbeau, et c’est sincèrement dérangeant de découvrir ces protagonistes pathétiques dont la mesquinerie et l’intelligence visiblement limitée ont causé la mort d’un enfant innocent.<br /><br /><br />
Là encore, c’est conçu comme un polar, on avance dans l’intrigue avec ce plaisir légèrement sordide de découvrir une galerie de personnages dans laquelle se cache évidemment le suspect et c’est une réelle frustration de quitter trop tôt (durée du documentaire oblige) cet univers qu’on croirait sorti du film Série Noire tant il offre une plongée dans un contexte social complètement déprimant.<br /><br /><br />
La troisième histoire montre quant à elle qu’un corbeau n’est pas seulement une menace ou un semeur de troubles, mais peut aiguiller, par sa connaissance de faits trop sensibles pour être révélés publiquement, la justice dans une enquête comme celle que menait la juge Eva Joly sur Elf.<br /><br /><br />
Pour ceux qui connaissent l’histoire, on en retrouve ses pitoyables vedettes, de Loic Le Floch-Prigent à Christine Deviers-Joncour en passant par le si bien chaussé Roland Dumas, mais on découvre grâce à pierre Chassagnieux qui a réussi à décrocher une interview d’Eva Joly à propos de cette enquête (alors qu’elle ne s’était plus exprimé sur ce sujet) comment des lettres anonymes ont aidé à faire avancer une procédure qui aurait forcément mis beaucoup plus de temps à démasquer le scandale d’état, surtout qu’elle ne partait pas dans cette direction mais sur un montage financier dont Loic Le Floch-Prigent nous parle avec un détachement cynique qui ne fera que confirmer l’abjection que l’on peut éprouver à l’égard de ces grands patrons qui trouvent rien moins que normal d’obéir à des ordres qui éclaboussent d’indélébiles tâches la robe de notre République, à présent si souillée qu’elle ferait passer pour un modèle d’immaculée propreté celle de Monica Lewinsky.<br /><br /><br />
Ajoutez à cela un bref détour par la crise de l’anthrax qui, en 2001, créa une psychose mondiale mais dont les conséquences en France furent pire que partout ailleurs tant, nous l’explique un intervenant réjouissant de moqueuse clairvoyance, nous sommes un peuple prompt à agir comme d’hystériques adolescents, ainsi que l’interview jubilatoire d’une experte en graphologie qui dévoile ses tours pour confondre par l’écriture un corbeau expérimenté et vous obtenez un documentaire qui se dévore comme un bon polar, l’ambiance, par les images, le montage et la musique choisie est soignée et joue avec les codes du film policier (L’œil du Corbeau a d’ailleurs été sélectionné pour le prochain festival du polar à Cognac dont il va inaugurer la branche documentaire) et il nous aide à mieux cerner, même si cela reste superficiel en raison de la durée trop courte de 52mn, la psychologie malade et déviante des corbeaux ainsi qu’à mesurer l’ampleur des dégâts que la calomnie peut causer.<br /><br /><br />
Tous les amateurs d’intrigues policières aux canevas classiques mais toujours aussi efficaces devront attendre le mois de Novembre pour une diffusion télévisée qu’il ne faudra manquer sous aucun prétexte.

Pierre Chassagnieux, France, 2014, 52mn, Nilaya

Qui sont les « corbeaux », ces mystérieux expéditeurs de lettres anonymes, majoritairement diffamatoires, quelquefois susceptibles d’aider justice et/ou police dans une enquête compliquée ? Pourquoi se cachent-ils ? Que cherchent-ils ? Par quels moyens réussissent-ils, au moins un temps, à rester incognitos, cachés derrière des missives qui vomissent leur haine, leur jalousie, leur médisance ou expriment ce qu’ils ont trop peur d’avouer à visage découvert ?

En suivant le parcours d’une lettre anonyme, depuis sa confection jusqu’à sa neutralisation par les services de tri postaux, c’est ce à quoi va répondre ce film-documentaire que j’ai eu la chance de découvrir en avant-première et qu’a réalisé mon ami Pierre Chassagnieux.

Le voyage de la lettre, bien qu’offrant des images toujours étonnantes et fascinantes de l’envers du décor de la poste, du ramassage à la distribution des facteurs en passant par les centres de tri, n’est pas le plus palpitant.

Ce sont les étapes de ce voyage qui font de L’œil du Corbeau, plus qu’un simple documentaire, une sorte de mini anthologie du polar, trois histoires qui ont pour seul point commun les lettres d’un corbeau.

La première, à Tulle en Corrèze au tout début du XXème Siècle, avec ce corbeau qui inondait la ville de missives ordurières qui n’épargnaient rien ni personne, 110 lettres qui entrainèrent méfiance, psychose et mort, est stupéfiante tant elle dépeint une affaire de mœurs aujourd’hui évidemment impensable et à travers elle, une société sclérosée par le conformisme, les codes de bonne conduite et une pensée unique étriquée, qui ne laisse nulle place à la différence et la liberté de se comporter autrement.

Grâce à la passion de l’intervenante qui revit l’affaire en même temps qu’elle nous la raconte ainsi qu’aux nombreuses archives retrouvées pour illustrer le contexte, les décors et les protagonistes, le tout solidement épaulé par des images de reconstitution soignées, travaillées et qui nous immergent directement au cœur de l’histoire, c’est quasiment à un voyage dans le temps que nous convie Pierre Chassagnieux, l’ombre des brigades du tigre plane sur cette enquête aux rebondissements nombreux et surprenants et la résolution, loin d’être manichéenne, touche à un drame humain tellement complexe, qu’il est compliqué de se faire un avis tranché sur la personnalité du corbeau et l’ambiguïté de nos sentiments à son égard ajoute un plaisir supplémentaire à suivre cette étonnante intrigue que je ne connaissais personnellement pas et qui a été adapté en 1943 par Henri-George Clouzot dans le classique Le Corbeau.

La deuxième histoire est la tristement célèbre affaire du petit Grégory, qui n’en finit pas, 30 ans après de continuer à rebondir. Sauf qu’ici, sans rien vous dévoiler de ce que l’on apprend, l’identité du corbeau/meurtrier (fait rare nous explique un policier, puisqu’un corbeau ne passe généralement jamais à l’action et reste bien planqué derrière ses lettres anonymes) est très clairement révélée, il n’y a que peu de doutes possibles et c’est plus le récit d’un fiasco judiciaire qui nous est conté.

Une affaire dont le contexte de misère sociale ne m’avait jamais autant frappé qu’à travers les incroyables archives dénichées par le réalisateur, dont un stupéfiant enregistrement des appels téléphoniques du corbeau, et c’est sincèrement dérangeant de découvrir ces protagonistes pathétiques dont la mesquinerie et l’intelligence visiblement limitée ont causé la mort d’un enfant innocent.

Là encore, c’est conçu comme un polar, on avance dans l’intrigue avec ce plaisir légèrement sordide de découvrir une galerie de personnages dans laquelle se cache évidemment le suspect et c’est une réelle frustration de quitter trop tôt (durée du documentaire oblige) cet univers qu’on croirait sorti du film Série Noire tant il offre une plongée dans un contexte social complètement déprimant.

La troisième histoire montre quant à elle qu’un corbeau n’est pas seulement une menace ou un semeur de troubles, mais peut aiguiller, par sa connaissance de faits trop sensibles pour être révélés publiquement, la justice dans une enquête comme celle que menait la juge Eva Joly sur Elf.

Pour ceux qui connaissent l’histoire, on en retrouve ses pitoyables vedettes, de Loic Le Floch-Prigent à Christine Deviers-Joncour en passant par le si bien chaussé Roland Dumas, mais on découvre grâce à pierre Chassagnieux qui a réussi à décrocher une interview d’Eva Joly à propos de cette enquête (alors qu’elle ne s’était plus exprimé sur ce sujet) comment des lettres anonymes ont aidé à faire avancer une procédure qui aurait forcément mis beaucoup plus de temps à démasquer le scandale d’état, surtout qu’elle ne partait pas dans cette direction mais sur un montage financier dont Loic Le Floch-Prigent nous parle avec un détachement cynique qui ne fera que confirmer l’abjection que l’on peut éprouver à l’égard de ces grands patrons qui trouvent rien moins que normal d’obéir à des ordres qui éclaboussent d’indélébiles tâches la robe de notre République, à présent si souillée qu’elle ferait passer pour un modèle d’immaculée propreté celle de Monica Lewinsky.

Ajoutez à cela un bref détour par la crise de l’anthrax qui, en 2001, créa une psychose mondiale mais dont les conséquences en France furent pire que partout ailleurs tant, nous l’explique un intervenant réjouissant de moqueuse clairvoyance, nous sommes un peuple prompt à agir comme d’hystériques adolescents, ainsi que l’interview jubilatoire d’une experte en graphologie qui dévoile ses tours pour confondre par l’écriture un corbeau expérimenté et vous obtenez un documentaire qui se dévore comme un bon polar, l’ambiance, par les images, le montage et la musique choisie est soignée et joue avec les codes du film policier (L’œil du Corbeau a d’ailleurs été sélectionné pour le prochain festival du polar à Cognac dont il va inaugurer la branche documentaire) et il nous aide à mieux cerner, même si cela reste superficiel en raison de la durée trop courte de 52mn, la psychologie malade et déviante des corbeaux ainsi qu’à mesurer l’ampleur des dégâts que la calomnie peut causer.

Tous les amateurs d’intrigues policières aux canevas classiques mais toujours aussi efficaces devront attendre le mois de Novembre pour une diffusion télévisée (Planète) qu’il ne faudra manquer sous aucun prétexte.